Le 23 mai dernier, l’historien Claude Liauzu nous a quitté dans son sommeil. J’exprime à sa femme Josette ainsi qu'à ses enfants, ma profonde tristesse, mon désarroi et mes sincères condoléances.
Claude Liauzu était né à Casablanca en 1940. Militant à l’UEC (Union des Etudiants Communistes) puis au PCF (Parti Communiste Français), il s’engagea avec sa femme pour l’indépendance de l’Algérie. Il enseigna ensuite pendant une dizaine d’années en Tunisie avant d’être nommé enseignant chercheur à Paris VII. Toute son œuvre était consacrée à la colonisation et ses effets, à l’immigration, au racisme et à la mémoire.
Il était doté de qualités peu communes surtout dans le milieu universitaire, ce qui lui a valu certaines inimités. Enseignant pédagogue, méthodique, mais surtout ouvert, Il enfonça des portes, bouscula les dogmes, et passa sa vie à mettre en avant le fait que la société française qu’on le veuille ou non est une société à caractère post colonial. A partir de là, il n’eut de cesse de se battre pour les causes qui lui semblaient justes. Il joua un rôle clé dans l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui mettait en avant les « aspects positifs de la colonisation ». Il souhaitait que l’histoire soit faite par les historiens, les spécialistes, et non par les lobbys et les politiques. En outre il mettait en avant, en réponse à la crise d’identité que traversait la France, la pluralité de notre pays (issue de son passé colonial) qui devait constituer une richesse et non fardeau. Toutefois il n’a eu de cesse de combattre le racisme « anti-français » sous toutes ses formes.
Ennemi juré de l’OAS et des "nostalgiques" de l’Algérie française, il éclaira de son érudition (avec d’autres historiens) les profanes lors du procès du général Schmitt, au sujet de la torture systématique pratiquée lors de la guerre d’Algérie. Il a dénoncé bien avant tout le monde, bien avant les attentats du 11 septembre 2001, les dangers du repli sur soi, de la peur de l’étranger, du « choc des civilisations » cher à Huntington. Il s’est battu contre toutes les dérives communautaristes et racistes , aussi bien islamophobes qu’antisémites.
Au-delà de ses qualités d’universitaires, Claude Liauzu était un homme attachant, d’une profonde humanité, et rassembleur. Il arrivait à mêler et à faire travailler ensemble des talents d’horizons différents. Il ne comptait pas ses heures pour aider ses étudiants, les poussait, les encourageait et leur donnait confiance en eux. Il n’hésitait pas à les inciter à penser par eux même, à toujours aller plus loin dans la réflexion, à s’ouvrir au monde et surtout à se battre contre les injustices qu’ils pouvaient ressentir. Ses anciens étudiants sont orphelins de sa présence, de ses conseils et de son dynamisme.
Même à la retraite, il ne cessa de travailler, d’écrire, avec toujours une cause à défendre. Son dernier combat aura été la lutte contre la création du ministère de l’immigration et de l’identité nationale de notre nouveau président. Son décès est une énorme perte par les temps qui courent. Gageons que ceux qui l’ont connu poursuivront son œuvre et ses combats chacun à sa façon.
Ci-dessous une bibliographie non exhaustive de Claude Liauzu qui montre le talent et le courage de ce résistant de notre temps.
-Enjeux urbains au Maghreb : Crises, pouvoirs et mouvement sociaux (avec Gilbert Meynier, Maria Sgroï-Dufresnes et Pierre Signoles), Editions l’Harmattant, 1985, 218 pages.
-Race et civilisation, Editions Syros, 1992, 489 pages.
-La société française face au racisme, Editions Complexe collection histoire, 1999, 224 pages.
-Aux origines des tiers-mondismes : Colonisés et anticolonialistes en France (1919-1939), 2000, Editions l’Harmattan , 274 pages.
-Passeurs de rives : Changements d’identité dans le Maghreb colonial, Editions l’Harmattan, 2000, 158 pages.
-Transmettre les passés : Nazisme, Vichy et conflits coloniaux (avec Marie-Claire Hook-Demarles), Editions Syllepse, 2001, 322 pages.
-Quand on chantait les colonies (avec Josette Liauzu), Editions Syllepse, 2002, 250 pages.
-Violence et colonisation : Pour en finir avec les guerres de mémoire (sous la direction de Claude Liauzu), Editions Syllepse 2003.
-Colonisation : Droit d’inventaire, 2004, Armand Colin, 352 pages.
-Dictionnaire de la colonisation française (avec Hélène d’Almeida-Topor, Pierre Brocheux et Myriam Cottias), Editions Larousse, 2007, 646 pages.